Comment transformer l’enseignement pour stimuler la curiosité des élèves ?

Date de publication : 1 mars 2019
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Le travail par projets incite les élèves à s’impliquer beaucoup plus dans les apprentissages.
Rido/Shutterstock

Enrique Javier Díez Gutiérrez, Universidad de León

Les programmes éducatifs surchargés ne facilitent pas un apprentissage posé, fondé sur la curiosité, le questionnement et la recherche guidée par l’enseignant. Il existe pourtant des moyens de concevoir des cursus plus motivants.

Je me souviens de ma perplexité, ce jour de rentrée au collège public, quand j’avais seize ans. La prof nous avait annoncé au début du cours que, cette année, sa matière ne s’intitulerait pas « sciences naturelles », mais « apprendre à draguer ».

Nous sommes restés bouche bée, songeurs et stupéfaits. Le silence était envoûtant. On n’entendait pas une mouche voler. Toute notre attention s’est détachée des milliers de distractions par lesquelles nous avions coutume de tromper l’ennui que nous inspirait ce cours.

Nous avions peine à y croire, mais l’enthousiasme est monté, faisant naître une tension en nous, si bien que presque tous les élèves dans la salle ont fait preuve d’une attention inhabituelle envers cette nouvelle prof. Elle avait complètement capté notre curiosité en touchant à l’un des centres d’intérêt fondamentaux des ados de 15 ans : comment établir des relations affectives avec celles et ceux qui commençaient à nous plaire et à qui nous ne savions qu’envoyer des « signaux » à base de tirage de cheveux, de bousculade ou de vannes, entre le ridicule, la honte et la surprise. Nous étions à l’âge où cette occupation commençait à employer la majeure partie de notre temps et de nos efforts.

Le travail par projets

Elle nous a expliqué qu’il s’agissait d’un « projet de travail » en lien avec les professeurs de langue, d’éducation physique (alors appelée « gymnastique ») et de dessin (on dirait aujourd’hui « arts plastiques »). Cela nous a surpris encore davantage car, pour la première fois, je crois, nous prenions conscience que plusieurs profs s’étaient mis d’accord pour travailler ensemble. Du moins, ils le faisaient explicitement. Nous nous sommes même rendu compte, à mesure que progressait le trimestre, qu’ils commençaient à utiliser des termes pédagogiques similaires, ou à agir en classe d’une manière assez semblable.

À cette époque, je ne savais certainement pas ce que signifiait « travailler sur des projets », mais ce dont je me souviens bien c’est de nous être vraiment plongés dans ce « projet ». Bien sûr, nous avons acquis des savoirs scientifiques en sciences naturelles, étudié l’anatomie du corps humain masculin et féminin, la biologie, et bien plus, mais en fonction de questions fondamentales dans la découverte de notre corps et de nos hormones, ces questions auxquelles quasiment personne ne répondait jamais.

Bien sûr, nous avons étudié la langue et la littérature, l’analyse morphologique et syntaxique, mais pour écrire des poèmes afin d’exprimer nos sentiments à la personne aimée, à partir de la poésie de Pablo Neruda, de Miguel Hernández ou de Mario Benedetti – l’auteur pour lequel je me suis passionné, celui dont j’ai mémorisé de nombreux poèmes dont je me souviens encore.

Bien sûr, nous avons travaillé l’expression plastique, artistique et corporelle, mais, ici encore, à travers un projet de théâtre en collaboration avec le cours de langue. Nous avons construit le décor, développé des techniques pour apprendre à nous exprimer à l’oral ou nous débarrasser de la peur du contact physique et de l’expression corporelle en public. Tant d’apprentissages…

Des programmes surchargés

Le fait est que, 40 ans plus tard, je me souviens encore de ce cours et de la plupart des apprentissages que mes camarades et moi avons trouvés passionnants. Et je me souviens avec une immense affection de ces profs qui ont mis en pratique de façon lucide, organisée et collective ce que nous désignons aujourd’hui un peu pompeusement « l’innovation », et qui n’a cessé de reprendre les propositions avancées par les grands pédagogues classiques tout au long de l’histoire de l’enseignement : Paulo Freire, Célestin Freinet, Ovide Decroly, John Dewey, María Montessori, Anton Makarenko, William H. Kilpatrick, Francesco Tonucci

Mais, pour y parvenir, il est nécessaire de repenser non seulement les méthodologies mais aussi la division disciplinaire en matières, l’excès de contenus scolaires, et les systèmes d’évaluation en place fondés sur des contrôles continus et des standards d’apprentissage.

Difficile de concevoir un enseignement posé, détendu et passionnant qui permette aux élèves de penser, réfléchir et se questionner, quand on est confronté à ces programmes surchargés et colossaux, devant lesquels le corps enseignant lui-même se trouve débordé, ce qui le contraint à adopter essentiellement une méthodologie de transmission pour achever le programme exigé par l’administration.

Pédagogie de l’erreur

Difficile de passionner les élèves pour la découverte scientifique quand on leur donne les réponses dans des contenus « pré-mâchés » avant qu’ils ne se posent eux-mêmes les questions. Certes, ils ont tendance à mémoriser ces réponses, mais sans comprendre pourquoi l’humanité a choisi celles-ci et non d’autres.

Si nous ne stimulons pas leur immense curiosité, en les motivant pour qu’ils testent des réponses différentes, se trompent, et que nous puissions travailler avec la « pédagogie de l’erreur » pour leur expliquer la finalité et l’utilité des alternatives, nous pourrons difficilement leur faire comprendre le sens du processus d’enseignement-apprentissage, et ils finiront par le percevoir comme une obligation ou, en tout cas, un simple moyen d’obtenir un emploi ou une meilleure position sociale.

En définitive, pour concevoir un cursus passionnant et motivant, il nous faut repenser les contenus essentiels du programme et les réduire substantiellement, les limiter à une bonne base de connaissances qui permette d’en ajouter et d’en intégrer d’autres par la suite. Surtout, nous devons faire confiance au corps enseignant et le soutenir, puisque ce sont eux les professionnels, les experts de l’enseignement.

Les profs doivent avoir l’autonomie suffisante pour organiser, avec l’appui de leur communauté pédagogique, un cursus qui entre en résonance avec les intérêts des élèves et tire sa source de ces aspects pertinents et fondamentaux que doivent étudier les nouvelles générations pour vivre, être heureux et développer notre vie en commun.


Traduit de l’espagnol par Charlotte Marti pour Fast for Word.The Conversation

Enrique Javier Díez Gutiérrez, Profesor de Ciencias de la Educación, Universidad de León

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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